Petit flash crash pétrolier : sans importance ?
27/04/2020
Des indices en recul, un contrat à terme sur le pétrole de référence américain négatif, des capacités de stockage arrivant à saturation, le chômage aux USA, la chute historique du PIB chinois, reprise progressive de l'industrie, résultats trimestriels, ... Retour sur une nouvelle semaine "atypique".
1 – Tout est une question de point de vue, voire de perspective : on pourrait croire qu’il ne s’est pas passé grand chose la semaine dernière sur les marchés d’actions avec d’un vendredi à l’autre une baisse de -2,3% pour le Cac 40, de -2,4% pour son homologue allemand Dax 30, de -1,9% pour le Dow Jones, etc… des variations somme toute assez anodines par les temps qui courent. Mais des variations qui sont cependant l’addition de séances de hausses modérées avec une journée un peu noire, puisque l’on a eu droit mardi dernier à -3,8% pour le Cac 40, -3,9% pour le Dax et -2,7% pour le Dow Jones, lequel avait déjà perdu -2,4% la veille, etc… Le responsable de ce mouvement brutal étant le pétrole, ou plutôt un “flash crash” sur le marché à terme de cet hydrocarbure, le NYMEX de New-York, qui a complètement déraillé dans sa séance du lundi 20 avril. Les marchés d’actions se sont toutefois vite repris, et ont donc limité la baisse sur la semaine, pour rester finalement dans le canal horizontal qui prévaut depuis quelques temps déjà !
2 – Pour être plus précis sur ce qui s’est passé au NYMEX, on notera que les cours du contrat à terme mai 2020 sur le WTI (pour West Texas Intermediate : le pétrole brut de référence américain) sont devenus négatifs pendant quelques heures, passant de 20$/baril environ à -37$/baril pour leur dernier jour de cotation. Ce qui n’était jamais arrivé, et pouvait faire dire, si tant est qu’une telle aberration veuille dire quelque chose, que les traders en position sur ce contrat étaient prêts à payer cher pour qu’on les débarrasse des quantités livrées à cette échéance. Ce qui paraît un peu théorique toutefois, puisque les cours des échéances suivantes : juin, juillet et ainsi de suite, sont loin d’être négatifs, même s’ils sont historiquement bas. Il semblerait donc que ce flash crash ait été déclenché non pas par des traders en folie (ce qui n’est vraiment pas leur genre, en plus) mais par la panique d’intervenants purement financiers. Parce que l’on fabrique à présent des ETF et autres fonds indiciels avec à peu près n’importe quoi, pour vendre aux investisseurs une exposition sur à peu près n’importe quoi, y compris sur le pétrole bien entendu.
3 – Flash crash ou pas, cependant, le pétrole affiche une configuration bizarre en ce moment, voire inquiétante pour les collapsologues distingués qui ont de larges tribunes dans les médias : c’est un fait que la demande finale globale a chuté de -20% et plus, puisque les confinés ne prennent plus leurs voitures, et que l’offre mettant du temps à s’ajuster pour toutes sortes de raisons, les capacités de stockage doivent arriver à saturation. Le monde entier ou presque a donc les yeux tournés vers les réservoirs de Cushing, Oklahoma, où s’entrepose le pétrole “physique” sous-jacent des contrats cotés au NYMEX, et le monde entier ou presque aimerait bien savoir s’il reste encore de la place ailleurs pour ces excédents dans les grands stockages des terminaux d’embarquement et de débarquement et dans les supertankers à l’ancre ou sur la mer. Et comme personne n’en sait rien, vraisemblablement, les prix du pétrole brut tels qu’on les connaît, c’est à dire ceux des cotations à terme, sont très déprimés, avec un WTI revenu péniblement à 17$/baril après son accident, et un Brent, notre pétrole de la Mer du Nord, à 21,80$/baril, soit une baisse de -23% sur la semaine. Ce qui peut faire s’effondrer tout un pan de l’économie américaine : le secteur du pétrole de schiste, notoirement surendetté, et, pire encore, remettre éventuellement en question les dividendes distribués par nos grandes compagnies européennes, telles Total ou Royal Dutch Shell. Ce qui serait là aussi du jamais-vu, voire un vrai début de fin du monde, pour les investisseurs s’entend.
4 – Ceci étant, pratiquement tout présente une configuration inquiétante en ce moment dans les chiffres que l’on nous sert, entre les indices PMI composites censés refléter voire anticiper l’activité dans l’industrie et les services qui s’écroulent tant en Zone Euro qu’aux USA et ailleurs, le chômage aux USA qui touche à présent plus de 26 millions de personnes, soit +4,4 millions en une semaine, la chute historique du PIB chinois : -6,8% au 1er trimestre 2020, alors que la Chine était jusqu’alors la grande locomotive de la croissance mondiale, les 10 millions de salariés français du secteur privé en chômage partiel, et ainsi de suite, sans parler des prévisions toujours aussi noires les unes que les autres sur la contraction que les économies vont subir en 2020 et au-delà avec ce Grand Confinement. Et il semble certain, puisque le mois d’avril est le premier mois entier (et, espérons-le le dernier) sous ce nouveau régime original, que les prochains chiffres que l’on nous assènera en mai ne seront pas beaux à voir non plus.
5 – Mais ce ne sont que des chiffres, dont certains, notamment les PMI et autres indices de confiance, ne veulent plus rien dire pour le moment. D’autant que des améliorations se font jour depuis quelques temps : le début de décrue dans les services d’urgence des hôpitaux est de loin la plus notable (et la seule qui compte vraiment), mais on peut voir aussi, dans notre pays en tout cas, nombre d’usines redémarrer doucement cette semaine, notamment dans l’automobile, Toyota Valenciennes lançant le mouvement, et voir aussi les chantiers du B-TP rouvrir peu à peu. Ceci alors que les gouvernements commencent par ailleurs à préciser les modalités du déconfinement : réouverture graduelle des écoles, des boutiques des commerces “non-essentiels”, et retour des transports en commun à pleine capacité ou presque. Autant d’améliorations qui ne sont pas vraiment chiffrables pour le moment, mais qui sont bien là a priori, et qui ne font que commencer aussi en principe, même si le virus est apparemment toujours aussi mystérieux et imprévisible.
6 – Et la Bourse dans tout ça ? Elle fait ce qu’elle peut, comme d’habitude, et regarde attentivement les résultats des entreprises pour le premier trimestre 2020 publiés en ce moment. Des publications qui, comme on peut s’en douter, sont loin d’être glorieuses avec un mois de mars amputé au mieux de deux semaines d’activité normale. Et qui préfigurent dans la plupart des cas un deuxième trimestre 2020 bien pire encore, avec au mieux un mois et demi en sous-régime. On ne pourra donc faire les vrais premiers comptes de cet à-coup conjoncturel brutal et inédit que dans les publications du 1er semestre, qui auront lieu à partir de la mi-juillet. Des comptes qui auront moins de signification que d’habitude, puisque les priorités sont clairement ailleurs pour les directions d’entreprises et clairement peu chiffrables aussi pour les analystes.
C’est peut-être ce que disent les marchés d’actions en ce moment, puisqu’ils ne veulent toujours pas rebaisser vraiment, au grand dam des tenants du “bear market rally” (cf la lettre hebdo Promepar AM du 14 avril) : au point où nous en sommes, rien ne sert d’avoir le nez dans le guidon et l’oeil rivé sur les résultats trimestriels, et le court-termisme n’a plus cours, tout simplement. Et, de fait, le flash crash du pétrole n’a finalement pas fait se crasher les actions comme on pouvait le craindre, et ce sont les grandes valeurs technos : Apple, IBM, Cisco, Microsoft, qui profitent avant tout d’une tendance de long-terme : la digitalisation, qui ont fait monter Wall Street en fin de semaine.
Le long-terme : c’est pour ça qu’on est là. On ne le dira jamais assez.
Lieury – Directeur de la Stratégie Actions
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