Comment les entreprises se financent-elles en cette période ?
21/04/2020
En cette période de confinement, la plupart des entreprises doivent tirer une croix sur l’essentiel de leur chiffre d’affaires ; et qui dit chiffre d’affaires, dit également flux de trésorerie, ces liquidités nécessaires pour payer les loyers aux bailleurs, verser les salaires, payer les charges sociales, etc.
Et si les gouvernements européens ont mis en place des mesures puissantes permettant aux entreprises de diminuer leurs bases de coûts nécessitant des décaissements (chômage partiel, report des charges sociales, lissage des loyers, etc.), les entreprises conservent une base de coûts incompressibles, dus, malgré l’absence de flux de trésorerie entrants. D’autant que si le confinement est une catastrophe pour les chiffres d’affaires, les chefs d’entreprises ont d’ores et déjà prévenus : si les pouvoirs publics leurs permettent de soutenir une absence de revenus, il est nécessaire de rester en ordre de bataille pour préparer la reprise de l’activité lors du déconfinement. Autrement dit, il est nécessaire que les fonctions opérationnelles continuent à fonctionner, que les stocks de matières premières restent un tant soit peu alimentés, que des investissements soient à prévoir en termes d’équipements sanitaires, que les factures des systèmes informatiques continuent d’être payés, etc.
Ainsi, les entreprises coupent les dépenses non essentielles et s’approvisionnent en liquidités ; d’une part grâce à l’aide des banques qui ont ouvert en grand les vannes du crédit – certes garanti en partie par les Etats. D’autre part, et pour celles qui le peuvent, en sollicitant les investisseurs internationaux et les Banques Centrales. En effet, depuis peu ou prou le 20 mars, soit le point bas de la chute, nous assistons à une reprise très dynamique du marché primaire, dépassant largement le niveau de 2019. Le marché primaire se caractérise par des émetteurs, surtout corporate, de qualité, offrant des coupons visibles comparativement à la période récente et affichant leur souci de sécuriser leurs financements pour préparer la période difficile qui s’annonce et que l’on va souhaiter bien courte. Ces émissions sont néanmoins essentiellement à l’initiative des émetteurs notés dans la catégorie « investissement », cibles d’achat privilégiées par les Banques Centrales, qui, si elles acceptent d’augmenter la taille de leurs bilans en engloutissant les obligations émises sur le marché primaire, cherchent toutefois à détenir les obligations dont la probabilité de remboursement est la plus forte. Et pourtant, la Réserve Fédérale Américaine a fait sauter l’un de ses tabous politiques ces dernières semaines, en annonçant la possibilité d’acheter des obligations notées BB-, soit trois crans sous la catégorie « investissement » ! C’est une véritable révolution sur le marché obligataire, les analystes et stratégistes devant dorénavant prendre en compte que la Fed pourrait se porter acquéreuse de ces obligations jugées « spéculatives ». On peut néanmoins voir dans ce changement de paradigme, la volonté de Jérôme Powell d’accompagner les grandes entreprises qui se verraient déchues par les agences de notation ; ces dernières semaines, ce fut notamment le cas de Ford, le constructeur automobile, dont les souches ont fortement baissé après sa dégradation en catégorie « haut rendement » avant de fortement rebondir lors de l’annonce de la Fed. En Europe, la BCE qui a commencé ses achats massifs (70 milliards d’euros mensuels), s’est aussi projetée sur le primaire : BAT, HeidelbergCement, Shell, Holcim, Daimler, Vonovia, Fresenius, E.ON, Wendel, Engie, Orange, LVMH, Pernod Ricard, Schneider, Sanofi, Total !
En somme, la réouverture du marché primaire, alliée à la présence des Banques Centrales acheteuses, garantissent aux entreprises qui ont accès au marché obligataire un financement bon marché, et moins soumis à la volatilité des investisseurs. C’est une aubaine et certaines entreprises ne s’y sont pas trompées, d’autant que les investisseurs, gourmands des rendements qui sont légèrement réapparus, se bousculent au portillon. Dans les émissions récentes, on peut noter LVMH, Sanofi, Akzo Nobel, Veolia, Repsol, CapGemini, et le pipeline reste très fourni. Depuis la réouverture du marché le 20 mars, plus de 83 milliards d’euros ont été émis en Europe, soit en cumul depuis le début de l’année, près de 40% de hausse par rapport à 2019 ! Ces émissions sont en moyenne sursouscrites d’environ 4x, chiffre qui est toutefois à nuancer, les investisseurs se montrant très discriminants entre les émissions. Les émetteurs les moins bien notés doivent en effet consentir des primes relativement élevées pour placer leurs papiers, de 0 à 100 pbs. Veolia a par exemple émis 700 millions d’euros à 8 ans ; bénéficiant d’un taux de couverture de plus de 7x, il a pu émettre avec une prime de seulement 5 pb. Bouygues a émis 1 milliard d’euros à 8 ans à une prime d’environ 5 pb. Si le marché semble prêt à accueillir des émetteurs aux crédits jugés moins sûrs, ceux-ci doivent concéder des primes en conséquence. Syngenta, premier émetteur noté, selon les agences de notation, en catégorie soit « investissement » soit « haut rendement » depuis la réouverture du marché primaire, a émis 500 millions d’euros à 6 ans à une prime significative de 90pb.
Et, comble de la baisse de l’aversion au risque, même le marché « haut rendement » s’est rouvert la semaine dernière, alors que la dernière émission datait du 20 février ! Verisure a, certes consenti une prime importante de 511 pbs, mais est parvenu à obtenir 200 millions d’euros !
Il convient bien sûr d’être sélectif dans les dossiers, tels que se montrent les investisseurs en exigeant plus ou moins de prime de risque selon la visibilité sur l’activité et le versement des coupons. Toutes ces émissions sont néanmoins de bonnes nouvelles, montrant que les entreprises parviennent toujours à se financer en cette période, pour peu qu’elles inspirent la confiance des investisseurs, friands de rendement.
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