Qu'arrive-t-il à nos chères valeurs automobiles ?
20/05/2020
L'actualité de l'économie et de la finance !
- Nos chères valeurs automobiles se tiennent très mal en ce moment : le cours de Renault (18€) recule de -55% depuis le début de l’année, celui de Peugeot (11,6€) en peu moins mais quand même, soit -42%, les constructeurs allemands s’en sortent un peu mieux, soit -37% pour Daimler, -31% pour BMW, et -20% pour Volkswagen etc…, et le secteur automobile tout entier, équipementiers compris, en tant que compartiment de l’indice large européen Stoxx 600 est à -36%, en queue du peloton juste devant les compagnies pétrolières (-37%), le Tourisme/Hôtellerie (-42%) et les banques (-43%).
Et pour cause : l’automobile est très exposée à la pandémie, comme on peut s’en douter, avec a) des ventes de voitures en chute libre, soit des volumes en baisse de -78% en Europe en avril, les concessions étant fermées, et les conducteurs à la maison pour cause de confinement, et b) des usines totalement arrêtées un temps, pour adaptation à des normes sanitaires devenues très strictes et aussi pour refonte des processus de production pour mettre les opérateurs à l’abri de toute contamination. Bref : un évènement extraordinaire pour une industrie mondiale, qui a commencé en Chine puis s’est propagé en Europe et aux USA. - Ceci étant, avec le reflux actuel du virus, dont on aimerait bien qu’il soit définitif ou presque, les usines rouvrent les unes après les autres depuis fin avril en Europe, et la production redémarre, même si les montées en cadences sont plutôt lentes, d’après ce que l’on sait. Il le faut bien : les concessions rouvrent aussi avec le déconfinement, et, espérons-le en tous cas, les ventes reprennent éventuellement pour une excellente raison : le besoin de renouvellement de parcs automobiles ayant un âge moyen de 11 ans environ en Europe et aux USA. C’est principalement pour ça qu’on a fabriqué en 2019 près de 92 millions en tout de voitures particulières et de petits utilitaires dans le monde :
Un chiffre qui sera vraisemblablement nettement inférieur cette année, puisqu’il va manquer près de deux à deux mois et demi d’activité, soit -20% pour la production au bas mot, si tout va bien, c’est-à-dire à condition que la demande revienne à un niveau normal fin 2020, et en 2021. - De fait, nombre des grands marchés, notamment l’Europe et l’Amérique du Nord, le Japon, la Corée, sont totalement matures et saturés depuis longtemps. Par ailleurs, la croissance du marché mondial de l’automobile ces quinze dernières années a été tirée par la Chine, en phase d’équipement avec l’émergence de sa société de consommation. Et inutile de préciser que le cycle de renouvellement fonctionne par à-coup, au gré de la confiance des ménages dans la solidité de l’économie, et dans la pérennité de leurs emplois, et que, quand elles arrivent, les récessions impactent donc plus ou moins fortement la demande : la crise bancaire/immobilière de 2007-08 aux USA a généré une chute violente des ventes d’automobiles, (-18% en 2008 et -21% en 2009), et si la baisse des volumes a été beaucoup moins forte en Europe (respectivement -9% et -4%), grâce notamment aux aides des gouvernements sous forme de primes à la casse etc…, la demande de renouvellement est restée déprimée plusieurs années après.
- Mais il n’y a pas que les récessions : il y a aussi les normes liées aux contraintes environnementales qui influent fortement sur les ventes d’automobiles. D’abord sur le diésel : avec les restrictions de circulation en ville imposées aux véhicules anciens, et concomitamment le scandale du Dieselgate chez Volkswagen, la part de marché des ventes de véhicules légers roulant au gazole en Europe est passée de 51% en 2015 à 35% en 2018, ce qui est un vrai changement. Ensuite sur le CO2, impliqué dans le dérèglement climatique : après trois belles années 2015-2016-2017, le marché automobile européen a été perturbé durant l’été 2018 par l’introduction brutale de la norme WLTP (Worldwide harmonised Light Vehicle Test Procedure) de dosage d’émissions de CO2 et autres composés émis par les moteurs thermiques, qui a amené nombre de constructeurs à brader leurs stocks de véhicules non-conformes, avec en suite une chute des ventes et des programmes de production très perturbés.
Et on a eu enfin droit à un phénomène semblable ou presque avec des ventes à plus de +20% en décembre 2019, avec l’entrée en vigueur au 1er janvier 2020 d’une norme européenne anti-CO2 : 95g/km, imposant aux constructeurs de limiter, sur la moyenne de leurs voitures vendues, leur seuil d’émission de CO2 à 95g/km (vs 130g/km depuis 2015), sous peine de payer potentiellement de très grosses amendes (95€ par gramme de CO2 en trop par véhicule vendu), ce qui a de fait suscité à nouveau un déstockage massif. On notera que ces normes de plus en plus rigoureuses n’empêchent pas l’augmentation de la part des SUV, autrement dit les gros 4×4, considérés par certains, dont l’AIE (Agence Internationale de l’Energie), comme la deuxième source de croissance du CO2 dans le monde entre 2010 et 2018, et qui représentent 52% du marché aux Etats Unis, 44% en Chine et 37% en Europe. Aujourd’hui 200 millions de ces voitures sont actuellement en circulation sur la planète sur un parc de 1 milliard de véhicules légers. Equipés des mêmes moteurs que leurs homologues berlines, les SUV, du fait de leur forme et de leur poids, consomment 15 à 20% de plus que les autres véhicules thermiques. Mais pour les constructeurs, les SUV sont une véritable aubaine : en effet en plus des volumes vendus, les marges générées par véhicule sont bien meilleures, même après les offres pour appâter le client, telles que la prise en charge du malus écologique, du crédit etc… ! - Tout cela incite fortement les constructeurs à accélérer l’introduction de voitures électriques dans leurs gammes européennes pour maintenir la moyenne de leurs ventes si possible en dessous de ce maximum dangereux. Et avec un certain succès semble-t-il, puisque la part de marché de ce type de véhicule est passée de 4% au dernier trimestre 2019 à 8% au 1er trimestre 2020, dans un contexte très défavorable qui plus est. Avec des subventions conséquentes comme un bonus écologique de 6 000€ en France (plus 2 500€ si on remplace une voiture diésel), les voitures électriques ne sont de fait pas si chères que cela, et si le principal obstacle à la décision d’achat est l’accessibilité des bornes de recharges, celui-ci devrait progressivement sauter étant donnée la multiplication des stations. Cette mutation vers l’électrique est également incitée par les élus locaux puisque certaines villes rejettent purement et simplement les voitures diesel, voire toute voiture à moteur thermique : c’est en tous les cas ce que revendique l’association C40 qui regroupe les grandes métropoles du monde et qui a émis une déclaration pour des villes sans énergie fossiles avec des zones délimitées : 34 villes (grosses métropoles) de 11 pays se sont ainsi engagées et ont signé la campagne EV@30 lancée par l’AIE pour atteindre 30% de véhicules électrique en 2030 (Canada, Chine, France, Japon, US…).
Cependant, outre le fait que l’électricité qu’elle consomme n’est pas toujours verte, la voiture électrique présente encore un gros inconvénient : le temps de recharge, qui ne saurait être inférieur à 1 heure (sur le dernier modèle Tesla), et qui peut paraître très pénalisant pour qui veut faire de la route (par exemple faire Paris Lyon en 4 heures 30). Un problème qui peut être résolu en remplaçant les batteries par une pile à combustible alimentée en hydrogène, lequel hydrogène est dans un réservoir qui se remplit aussi vite qu’un réservoir d’essence ou de gazole. Mais cette solution, déjà appliquée sur des camions et le ferroviaire, semble encore lointaine pour les véhicules particuliers, avec un coût encore élevé des piles à combustible, et peu ou pas encore de stations-services vendant ce supercarburant, qui pour être cohérent devra être vert. - Enfin, si tous les constructeurs se mettent à produire des voitures électriques, ceci suppose un changement important pour l’industrie en Europe et ailleurs : i) la principale valeur ajoutée est dans les batteries achetées pour un certain temps encore à des fabricants chinois, coréens ou japonais, c’est-à-dire loin de chez nous et dans des conditions pas toujours très respectueuses de l’environnement ou de l’OIT et ii) une voiture électrique nécessiterait 20% de main d’oeuvre en moins pour sa fabrication, notamment parce que le groupe motopropulseur est bien plus simple qu’un moteur thermique et nécessite d’autres compétences, et sa montée en puissance peut donc détruire des emplois, ce qui assurément n’est bon pour personne.
Donc, pour nombre d’investisseurs, le secteur automobile génère non seulement des risques environnementaux mais aussi des risques sociaux, puisqu’il emploie énormément de monde : sur le Vieux Continent, l’industrie automobile représente 13 millions d’emplois directs et indirects. Pour ces raisons, les constructeurs sont plutôt mal notés dans l’ensemble par les différentes agences de notation extra-financières. Même Tesla, qui semble parfait écologiquement parlant, mais est épinglé par les agence en raison de sa gestion RH déplorable a priori.
Ceci alors que suite à l’Accord de Paris beaucoup de sociétés de gestion ont développé une politique climat interne, les conduisant à s’engager sur l’empreinte carbone de leurs portefeuilles et par conséquent à privilégier les entreprises présentant des trajectoires alignées avec l’objectif 2 degrés ; leur sélection repose donc non seulement sur l’analyse des critères financiers, mais également sur l’analyse des critères extra financiers ESG c’est-à-dire Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance. Et leurs engagements ne sont font pas en catimini, puisque nombre d’investisseurs s’engagent publiquement en soutenant ou collaborant avec diverses initiatives parmi lesquelles nous pouvons citer les PRI (Principes pour l’Investissement Responsables, rassemblant déjà plus de 3000 signataires à travers le monde, soit 10 000 milliards de $ d’encours sous gestion), les Objectifs du Développement Durable (ODD) ou encore des actions beaucoup plus ciblées sur la transition écologique, énergétique et la décarbonation des portefeuilles avec par exemple la TCFD (Task Force On Climate Disclosure) qui invite à la transparence des entreprises en matière de climat, le Climate Action 100+ où plus de 200 investisseurs dialoguent avec les 100 plus gros émetteurs de GES ou bien encore la SBTI, Science-Based Target Initiative qui vise à accompagner les entreprises pour aligner leurs émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) sur les recommandations du GIEC. A cela s’ajoute évidemment les dépôts de résolution externes en Assemblées générales, qui ne traitent plus seulement de questions de gouvernance, mais aussi d’enjeux environnementaux (cf Flash Daily précédent). - Le virus, le CO2 et les grandes mutations en cours fournissent éventuellement une bonne explication au fait que nos chères valeurs automobiles ne semblent plus si chères que cela, avec des multiples de valorisation faibles en valeur absolue par quelque bout qu’on les prenne, soit, pour ne citer qu’eux, des ratios Cours de Bourse/Prévisions de bénéfice 2021, autrement dit des PER ou P/E 2021e de l’ordre de 5x en moyenne, ce qui est assez peu, tant en valeur absolue, que par rapport aux moyennes historiques, qui sont de 6-7-8x. Partant du principe que la situation actuelle compliquée est très temporaire, que 2020 devrait être une parenthèse, et que tout sera plus ou moins rentré dans l’ordre en 2021, ce que l’on est encore en droit d’espérer.
- Quant au dernier coucou pondu par la High Tech pour redynamiser, et surtout bien exploiter ce vieux secteur qu’est l’automobile : la voiture autonome, il faudra attendre encore un peu : i) la pure conduite autonome de niveau 5 ou 6 ne marche peut-être pas vraiment, ii) de tels systèmes sont encore plus que dispendieux, et donc encore hors de portée du client moyen de l’industrie : vous et moi.
Tout simplement.
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